Où Michel Houellebecq s’essaye à la science-fiction. La possibilité d’une île c’est un recueil des témoignages de vie de Daniel1 et de ses successeurs clonés, Daniel23, 24 et 25 qui vivent plusieurs siècles après la mort de leur version originale.
Daniel1, aussi déprimant que les autres héros des livres de Michel Houellebecq, est un pauvre bougre, comique riche et célèbre mais malheureux, frustré et mal à l’aise dans son époque. Il fait la rencontre des membres d’une secte qui l’accueillent parmi eux avec bienveillance (c’est toujours bon d’avoir un people dans la secte). La secte fait penser à celle des Raëliens mais avec Michel Houellebecq, on s’attend à un culte basé sur la débauche sexuelle la plus glauque ; mais non, juste un peu. Les membres sont plutôt chastes et canalisent leurs énergie vers leur grand dessein : La fin de l’humanité telle qu’elle a toujours vécue : angoissée par la mort. Grâce au clonage, l’homme va pouvoir durer indéfiniment, mais d’une vie sans intérêt ni passion. A cinquante ans, le fidèle est invité à remettre un échantillon de son ADN, son récit de vie et tous les biens en sa possession. Une fois ces « formalités » effectuées, il est invité à se suicider pour « renaître » dans son clone.
Daniel est chargé par le « prophète » de promouvoir l’image de la secte dans les médias, ce qu’il ne fera pas réellement. Il vit deux histoires avec des femmes différentes. La première femme l’aime réellement mais est sexuellement incapable de le satisfaire ; Avec la seconde, c’est exactement l’inverse. Du coup, Daniel est frustré et blasé par le show business, qui ne lui apporte pas les compensations espérées. Dégoûté par ses contemporains et malheureux en amour, il en tirera les conclusions définitives sur sa vie et sur le monde qui l’entoure.
Le livre est organisé sur la succession de chapitres dans lesquels Daniel 1 fait le récit de sa vie et ceux dans lesquels ses successeurs les commentent. La construction est plutôt habile mais je pense que Michel Houellebecq a voulu rendre la monotonie et l’ennui qui habitent ses narrateurs successifs, avec un style terne et assez peu d’événements. Les réflexions et commentaires tiennent une grande place dans ce livre dans lequel il ne se passe finalement qu’assez peu de choses. Et alors, on s’embête un peu. Par contre ce qui est fort c’est qu’on en s’en rend pas compte tout de suite, mais plutôt à la fin du livre. A ce moment-là on se dit : « avec deux cent page en moins ça n’aurait pas été plus mal ».
Enfin je suis un peu négative mais c’est quand même pas mal : on trouvera dans la possibilité d’une île, une histoire ambitieuse, avec de l’ampleur et une véritable originalité. Mais je suis mitigée. Faut vous dire que juste avant moi j’avais lu « Plateforme »… J’avais bien aimé, mais deux Houellebecq à la suite, ça fait beaucoup d’optimisme et de joie de vivre d’un coup.
Je vais faire une pause peut être.
Isabelle accomplit ses trois mois légaux de préavis, et le dernier numéro de Lolita supervisé par elle parut en décembre. Il y eut une petite fête, enfin un cocktail, organisé dans les locaux du journal. L’ambiance était un peu tendue, dans la mesure où tous les participants se posaient la même question sans pouvoir la formuler de vive voix : qui allait la remplacer en tant que rédactrice en chef ? Lajoinie fit une apparition d’un quart d’heure, mangea trois blinis, ne donna aucune information utilisable.
Nous partîmes en Andalousie la veille de Noël ; s’ensuivirent trois mois étranges, passés dans une solitude à peu près totale. Notre nouvelle résidence s’élevait un peu au sud de San José, près de la Playa de Monsul. D’énormes blocs granitiques encerclaient la plage. Mon agent voyait d’un bon œil cette période d’isolement ; il était bon, selon lui, que je prenne un peu de recul, afin d’attiser la curiosité du public ; je ne voyais pas comment lui avouer que je comptais mettre fin.
Il était à peu près le seul à connaître mon numéro de téléphone ; je ne pouvais pas dire que je m’étais fait tellement d’amis, au cours de ces années de succès ; j’en avais, par contre, perdu pas mal. La seule chose qui puisse vous enlever vos dernières illusions sur l’humanité, c’est de gagner rapidement une somme d’argent importante ; alors on les voit arriver, les vautours hypocrites. Il est capital, pour que le dessillement s’opère, de gagner cette somme d’argent : les riches véritables, nés riches, et n’ayant jamais connu d’autre ambiance que la richesse, semblent immunisés contre le phénomène, comme s’ils avaient hérité avec leur richesse d’une sorte de cynisme inconscient, impensé, qui leur fait savoir d’entrée de jeu qu’à peu près toutes les personnes qu’ils seront amenés à rencontrer n’auront d’autre but que de leur soutirer leur argent par tous les moyens imaginables ; ils se comportent ainsi avec prudence, et conservent en général leur capital intact. Pour ceux qui sont nés pauvres, la situation est beaucoup plus dangereuse ; enfin, j’étais moi-même suffisamment salaud et cynique pour me rendre compte, j’avais réussi à déjouer la plupart des pièges ; mais des amis, non, je n’en avais plus. Les gens que je fréquentais dans ma jeunesse étaient pour la plupart des comédiens, de futurs comédiens ratés ; mais je ne pense pas que cela aurait été très différent dans d’autres milieux. Isabelle non plus n’avait pas d’amis, et n’avait été entourée, les dernières années surtout, que de gens qui rêvaient de prendre sa place. Nous n’avions ainsi personne à inviter, dans notre somptueuse résidence ; personne avec qui partager un verre de Rioja en regardant les étoiles.
Que pouvions-nous faire, donc ? Nous nous posions la question en traversant les dunes. Vivre ? C’est exactement dans ce genre de situation qu’écrasés par le sentiment de leur propre insignifiance les gens se décident à faire des enfants ; ainsi se reproduit l’espèce, de moins en moins il est vrai. Isabelle était passablement hypocondriaque, et elle venait d’avoir quarante ans ; mais les examens prénataux avaient beaucoup progressé, et je sentais bien que le problème n’était pas là : le problème, c’était moi. Il n’y avait pas seulement en moi ce dégoût légitime qui saisit tout homme normalement constitué à la vue d’un bébé ; il n’y avait pas seulement cette conviction bien ancrée que l’enfant est une sorte de nain vicieux, d’une cruauté innée, chez qui se retrouvent immédiatement les pires traits de l’espèce, et dont les animaux domestiques se détournent avec une sage prudence. Il y avait aussi, plus profondément, une horreur, une authentique horreur face à ce calvaire ininterrompu qu’est l’existence des hommes. Si le nourrisson humain, seul de tout le règne animal, manifeste immédiatement sa présence au monde par des hurlements de souffrance incessants, c’est bien entendu qu’il souffre, et qu’il souffre de manière intolérable. C’est peut-être la perte du pelage, qui rend la peau si sensible aux variations thermiques sans réellement prévenir de l’attaque des parasites ; c’est peut-être une sensibilité nerveuse anormale, un défaut de construction quelconque. À tout observateur impartial en tout cas il apparaît que l’individu humain ne peut pas être heureux, qu’il n’est en aucune manière conçu pour le bonheur, et que sa seule destinée possible est de propager le malheur autour de lui en rendant l’existence des autres aussi intolérable que l’est la sienne propre – ses premières victimes étant généralement ses parents.
Armé de ces convictions peu humanistes, je jetai les bases d’un scénario provisoirement intitulé « le déficit de la sécurité sociale », qui reprenait les principaux éléments du problème. Le premier quart d’heure du film était constitué par l’explosion ininterrompue de crânes de bébés sous les coups d’un revolver de fort calibre – j’avais prévu des ralentis, de légers accélérés, enfin toute une chorégraphie de cervelle, à la John Woo ; ensuite, ça se calmait un peu. L’enquête, menée par un inspecteur de police plein d’humour, mais aux méthodes peu conventionnelles – je songeais à Jamel Debbouze – concluait à l’existence d’un réseau de tueurs d’enfants, supérieurement organisé, inspiré par des thèses proches de l’écologie fondamentale. Le M.E.N. (Mouvement d’Extermination des Nains) prônait la disparition de la race humaine, irrémédiablement funeste à l’équilibre de la biosphère, et son remplacement par une espèce d’ours supérieurement intelligents – des recherches avaient été menées parallèlement en laboratoire afin de développer l’intelligence des ours, et notamment de leur permettre d’accéder au langage (je songeais à Gérard Depardieu dans le rôle du chef des ours).
Malgré ce casting convaincant, malgré ma notoriété aussi, le projet n’aboutit pas ; un producteur coréen se déclara intéressé, mais se révéla incapable de réunir les financements nécessaires. Cet échec inhabituel aurait pu réveiller le moraliste qui sommeillait en moi (d’un sommeil du reste en général paisible) : s’il y avait eu échec et rejet du projet, c’est qu’il subsistait des tabous (en l’occurrence l’assassinat d’enfants), et que tout n’était peut-être pas irrémédiablement perdu. L’homme de réflexion, pourtant, ne tarda pas à prendre le dessus sur le moraliste : s’il y avait tabou, c’est qu’il y avait, effectivement, problème ; c’est pendant les mêmes années qu’apparurent en Floride les premières « childfree zones », résidences de standing à destination de trentenaires décomplexés qui avouaient sans ambages ne plus pouvoir supporter les hurlements, la bave, les excréments, enfin les inconvénients environnementaux qui accompagnent d’ordinaire la marmaille. L’entrée des résidences était donc, tout bonnement, interdite aux enfants de moins de treize ans ; des sas étaient prévus, sous la forme d’établissements de restauration rapide, afin de permettre le contact avec les familles.
Le samedi 4 mai 2013, par
Modification de l'article le : 4 mai 2013.
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