Coleman Silk a bâti sa vie sur un mensonge. Bien que issu d’une famille noire, sa peau très claire lui permet de passer aux yeux des gens pour un blanc. Coleman est brillant, réussit tout ce qu’il entreprend mais refuse de revoir ses ambitions à la baisse à cause de ses origines et du racisme ambiant. Profitant de son teint de peau, il préfère renier sa famille et se faire passer pour un blanc. Ce choix terrible lui permettra d’atteindre une réussite professionnelle incontestable. Mais la vie de Coleman Silk bascule lorsque, sur un mot malheureux adressé à une jeune fille noire, ses collègues l’accusent de racisme.
Philipp Roth, l’auteur de Portnoy et son complexe, de Opération Shylock et de la pastorale américaine a un héros récurrent : Nathan Zuckerman. Comme Philipp Roth il est écrivain, comme lui il a écrit un livre jugé scandaleux. Zuckerman est une doublure fictionnelle, un alter égo.
Dans La tache, Zuckerman est narrateur et va se lier d’amitié pour Coleman Silk, son voisin. Peu à peu, Zuckerman va reconstituer l’histoire étonnante de Silk dans son entière vérité. Zuckerman en fera le livre que Coleman lui avait demandé d’écrire, ce qu’il avait d’abord refusé.
Le roman est d’abord passionnant pour la mise en abyme ou Philipp Roth donne vie à un écrivain narrateur, qui se donne pour charge d’écrire « La tache ». J’ai beaucoup aimé ce jeu de miroir qui oblige a se poser sans cesse la question suivante « qu’est ce qui est vrai dans cet histoire et dans ces personnages ? » De bout en bout on se retrouve sur un fil entre fiction et autobiographie sans réussir à démêler le vrai du faux.
La construction littéraire est très particulière, et apparemment assez anarchique de prime abord, mais en réalité très travaillée. De flash back en changement de point de vue, Philipp Roth nous révèle peu à peu les pans de l’histoire de Coleman. On passe d’un personnage à l’autre, d’une vérité à l’autre. Particulièrement fouillés sur le plan psychologique, les personnages exposent tour à tour leurs visions, leurs motivations. Il faut parfois se concentrer pour ne pas s’y perdre, mais la maitrise de Roth sur la construction du roman est impressionnante.
La tache est aussi une prise de position forte contre le puritanisme ambiant aux États Unis. L’intrigue débute sous la présidence de Bill Clinton, en pleine affaire Lewinski. Comme vous pourrez le lire dans l’extrait, l’auteur ne mâche pas ses mots contre les biens pensants, les moralistes et les puritains.
Autres roman de Roth dans lequels Nathan Zuckerman apparaît.
De notoriété publique
À l’été 1998, mon voisin, Coleman Silk, retraité depuis deux ans, après une carrière à l’université d’Athéna où il avait enseigné les lettres classiques pendant une vingtaine d’années puis occupé le poste de doyen les seize années suivantes, m’a confié qu’à l’âge de soixante et onze ans il vivait une liaison avec une femme de ménage de l’université qui n’en avait que trente-quatre. Deux fois par semaine, elle faisait aussi le ménage à notre poste rurale, baraque de planches grises qu’on aurait bien vu abriter une famille de fermiers de l’Oklahoma contre les vents du Dust Bowl dans les années trente, et qui, en face de la station-service, à l’écart de tout, solitaire, fait flotter son drapeau américain à la jonction des deux routes délimitant le centre de cette petite ville à flanc de montagne.
La première fois que Coleman avait vu cette femme, elle lessivait le parterre de la poste : il était arrivé tard, quelques minutes avant la fermeture, pour prendre son courrier. C’était une grande femme maigre et anguleuse, des cheveux blonds grisonnants tirés en queue-de-cheval, un visage à l’architecture sévère comme on en prête volontiers aux pionnières des rudes commencements de la Nouvelle-Angleterre, austères villageoises dures à la peine qui, sous la férule du pasteur, se laissaient docilement incarcérer dans la moralité régnante. Elle s’appelait Faunia Farley, et plaquait sur sa garce de vie l’un de ces masques osseux et inexpressifs qui ne cachent rien et révèlent une solitude immense. Faunia habitait une chambre dans une laiterie du coin, où elle aidait à la traite des vaches pour payer son loyer. Elle avait quitté l’école en cinquième.
L’été où Coleman me mit dans la confidence fut celui où, hasard opportun, on éventa le secret de Bill Clinton jusque dans ses moindres détails mortifiants, plus vrais que nature,
l’effet-vérité et la mortification dus l’un comme l’autre à l’âpre précision des faits. Une saison pareille, on n’en avait pas eu depuis la découverte fortuite des photos de Miss Amérique dans un vieux numéro de Penthouse : ces clichés du plus bel effet, qui la montraient nue à quatre pattes et sur le dos, avaient contraint la jeune femme honteuse et confuse à abdiquer pour devenir par la suite une pop star au succès colossal. En Nouvelle-Angleterre, l’été 1998 s’est distingué par une tiédeur, un ensoleillement délicieux, et au base-ball par un combat de titans entre un dieu du home-run blanc et un dieu du home-run café-au-lait. Mais en Amérique en général, ce fut l’été du marathon de la tartuferie : le spectre du terrorisme, qui avait remplacé celui du communisme comme menace majeure pour la sécurité du pays, laissait la place au spectre de la turlutte ; un président des États-Unis, quadragénaire plein de verdeur, et une de ses employées, une drôlesse de vingt et un ans folle de lui, batifolant dans le bureau ovale comme deux ados dans un parking, avaient rallumé la plus vieille passion fédératrice de l’Amérique, son plaisir le plus dangereux peut-être, le plus subversif historiquement : le vertige de l’indignation hypocrite. Au Congrès, dans la presse, à la radio et à la télé, les enfoirés à la vertu majuscule donnaient à qui mieux mieux des leçons de morale, dans leur soif d’accuser, de censurer et de punir, tous possédés par cette frénésie calculée que Hawthorne (dans les années 1860, j’aurais été pour ainsi dire son voisin) avait déjà stigmatisée à l’aube de notre pays comme le « génie de la persécution » ; tous mouraient d’envie d’accomplir les rites de purification astringents – après quoi le sénateur Lieberman pourraient enfin regarder la télévision en toute quiétude avec sa petite fille de dix ans. Non, si vous n’avez pas connu 1998, vous ne savez pas ce que c’est que l’indignation vertueuse. L’éditorialiste William F. Buckley, conservateur, écrit dans ses colonnes : « Du temps, d’Abélard, on savait empêcher le coupable de recommencer », insinuant par là que pour prévenir les répréhensibles agissements du président (ce qu’il appelait ailleurs son « incontinence charnelle ») la destitution, punition anodine, n’était pas le meilleur remède : il aurait mieux valu appliquer le châtiment infligé au XVIIe siècle par le couteau des sbires du chanoine Fulbert au chanoine Abélard, son collègue coupable de lui avoir ravi sa nièce, la vierge Héloïse, et de l’avoir épousé. La nostalgie nourrie par Buckley pour la castration, juste rétribution de l’incontinence, ne s’assortissait pas, telle la fatwa lancée par l’ayatollah Khomeiny contre Salman Rushdie, d’une gratification financière propre à susciter les bonnes volontés. Elle était néanmoins dictée, cette nostalgie, par un esprit tout aussi impitoyable, et des idéaux non moins fanatiques.
Le roman a été adapté au cinéma avec Anthony Hopkins et Nicole Kidman, dans le film "la couleur du mensonge"
Le lundi 30 août 2010, par
Modification de l'article le : 18 novembre 2012.
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