Au Groenland, Jørn Riel par le biais de petites histoires, trace le portrait d’une communauté de trappeurs, vivants deux par deux dans des cabanes très éloignées les unes des autres, dans des conditions d’extrême isolement pendant toute une saison de chasse. Les personnages sont si solitaires qu’une certaine forme de dinguerie les gagne. C’est ce qui fait tout le sel de ces fables.
Valfred, Anton, Herbert, ou Lodvig, voilà quelque uns des personnages que l’on rencontre dans l’ouvrage de Jørn Riel. Ces rudes gaillards dévoilent tour à tour leurs faiblesses. Ont-ils sur cette terre inhospitalière à cause de leur inadaptation à la société ou est ce l’isolement et la rudesse de leur vie au Groenland qu’il s les a peu décalé ? A la fois drôles et touchantes, ces tranches de vie pourraient passer pour un reportage ethnographie ou comme le dit Jørn Riel lui même, des histoires vraies qui pourraient passer pour des mensonges, ou vice-versa.
Le style d’écriture est très séduisant, fort simple et sans effet. Jørn Riel écrit comme on raconte au coin du feu. Une bonne histoire suffit amplement pour la lectrice que je suis et cet ouvrage en compte plein. Bref, un livre qui m’a beaucoup plu.
Où l’on découvre Valfred, infatigable dormeur, et son jeune compagnon, Anton, à qui tout comme au cuistot chinois, il reste bien des choses à apprendre...
L’obscurité de la nuit polaire n’avait pas dérangé Anton. Il avait même accueilli le passage de la lumière à l’obscurité à la manière d’une bénédiction. A mesure que la clarté diminuait, tout s’était ralenti, et la période avant Noël avait été un temps de repos tout juste interrompu par de courtes visites aux pièges et de longues veillées dans la cabane avec Valfred.
C’est seulement quand l’horizon se mit à rougeoyer au sud qu’Anton commença à se sentir bizarre. La pâle luminosité le rendait anxieux et maintes pensées l’assaillaient, pensées qu’il gardait pour lui-même, car Valfred était un imbécile qui ne comprenait rien à ce genre de choses. C’était pourtant des pesées chaleureuses et exaltantes, mais curieusement elles le rendaient à la fois taciturne et dépressif. La moindre broutille l’irritait, il jurait comme un charretier quand une tourmente de neige avait bloqué les pièges, il hurlait comme un hystérique après les chiens et rouspétait contre les corbeaux qui suivaient son traineaux pour picorer les excréments des chiens. Dès qu’Aton vit les premiers nuages colorés par le soleil, tout prit pour lui un aspect démoniaque.
La nouvelle année n’avait que quelques semaines quand, pour la première fois, Anton attela les chiens et se lança comme un dératé plein sud à la poursuite du soleil. Mais il n’avait pas dépassé l’île de Ruther que la lumière disparaissait à nouveau. Sur le chemin du retour sa tête fourmillait de pensées. Les sanglots s’étranglaient dans sa gorge et, comme Anton n’était pas du genre à les retenir, les larmes roulèrent sur sa barbe et tombèrent sur la glace comme de petites perles claires. Anton pensait au soleil et à tout ce qu’il illuminait de ses rayons en cet instant précis. Plus qu’à tout, il pensait aux femmes, car Anton était jeune et loin d’être endurci sur ce chapitre.
Le samedi 19 juin 2010, par
Modification de l'article le : 18 novembre 2012.