Albert Londres a été le journaliste le plus réputé de son temps ; En 52 voyages à travers le monde, il a couvert la révolution russe, la colonisation en Afrique, la traite des blanches, le tour de France, la première guerre mondiale, mais aussi le bagne de Cayenne qui a été une de ses grandes indignations.
C’est l’histoire de Camille-Eugène-Marie Dieudonné, un ébéniste qui fréquente les milieux anarchistes. Dieudonné collabore au journal « l’anarchie ». C’est ainsi qu’il fait la connaissance des membres de la bande à Bonnot, et notamment de Jules Bonnot qu’il rencontre au journal.
Arrêté le 29 février 1912, Dieudonné est accusé de complicité dans le braquage de la société générale, rue Ordener. Le témoin qui l’accable a changé plusieurs fois de version et a déjà accusé deux autres personnes d’être le quatrième homme durant le braquage.
Le 28 avril 1912, Jules Bonnot est tué alors que la police fait le siège de la maison dans laquelle il s’est retranché à Choisy le roi. Pendant le siège, Bonnot à le temps de rédiger son testament dans lequel il affirme que Dieudonné ne fait pas partie de la bande et qu’il n’a rien à voir avec le braquage de la société générale. Octave Garnier et Raymond la science, deux autres membres de la bande à Bonnot confirmeront l’innocence de Dieudonné. Il sera pourtant condamné à mort en 1913.
Doutant de sa culpabilité, le président Raymond Poincaré lui accordera la grâce présidentielle. Celle-ci ne permettra cependant pas Dieudonné de retrouver la liberté. Sa peine est alors commuée en travaux forcés à perpétuité.
Dieudonné part pour la Guyane D’abord aux Îles du Salut, puis au bagne de Cayenne. C’est lors de sa visite aux iles du salut qu’Albert Londres fait la connaissance de Dieudonné. Le bagnard a tenté par deux fois de s’évader. La direction du bagne a pourtant pris Dieudonné en affection. C’est un prisonnier modèle. A tel point que les chefs de bagne appuieront une nouvelle demande de grâce. Elle sera rejetée. Alors Dieudonné s’évade et réussit à gagner le Brésil.
Adieu Cayenne, c’est le récit de cette évasion. Albert Londres emprunte la voix de Dieudonné pour retracer cette aventure. Parce qu’il s’agit bien d’une aventure, même si c’est aussi un reportage basé sur des éléments factuels.
Pourtant, j’ai lu ça avec autant de plaisir que si ça avait un roman, mais outre le plaisir, l’ouvrage a un double intérêt : les conditions de vie au bagne d’une part, mais aussi l’évolution du journalisme. Imaginez-vous aujourd’hui lire un reportage de cent pages, avec des dialogues et plusieurs narrateurs. Le tout avec suffisamment de suspens pour vous tenir en haleine jusqu’au dénouement ? Plus possible ?
Le Chinois les prend. Il s’approche de sa lanterne. Et voilà qu’il commence à compter et à vérifier les billets, et cela avec un tel soin que l’on aurait dit qu’il cherchait sur chacun la signature de l’artiste auteur de la vignette. Il n’en passa pas un. Cela dura une demi-heure, Après, le Chinois les donna au nègre. Le nègre s’attacha la lanterne au cou et se mit à compter et à vérifier. Il n’alla pas plus vite que son compère !
Après, il les redonna au Chinois, qui se remit à les recompter et à les revérifier. Enfin, ce fut fini ; le Chinois les glissa dans sa ceinture.
Il souffla sa lanterne, regagna son embarcation et, silencieux, dans la nuit chaude, emportant l’argent du pêcheur, il rama vers son bouge.
En route, dit Acoupa.
Et il enleva la pirogue.
Elle a sept mètres de long et un mètre de large. Nous sommes sept dedans. Il fait noir. Nous longeons la forêt vierge. Soudain, comme sur un ordre, les moustiques nous attaquent furieusement.
Deverrer, qui est jeune, geint sous la souffrance. « Silence, ordonne Menœil. Ce n’est pas la peine d’avoir échappé aux chasseurs d’hommes pour les attirer maintenant à cause de deux ou trois moustiques ! »
Le jeune se tait. Et alors commence le supplice, qui durera jusqu’à l’aube. On se caresse sans arrêt la figure, le cou, les pieds, les chevilles, de haut en bas, de bas en haut, dans un continuel mouvement de va-et-vient. Et à pleines mains on les écrase. Ils sont des millions contre vous, vous entendez, oui, des millions ! J’en ai écrasé pendant neuf heures de suite, contre ma peau, pour mon compte !
La crique a cinquante kilomètres ; nous n’en sortirons qu’au matin.
Acoupa pagaie. Menœil, debout à l’avant, et que les moustiques recouvrent comme d’une résille, manie un long bambou.
Jean-Marie le reprend, puis je reprends Jean-Marie. Le bambou s’enfonce dans la vase et la manœuvre est exténuante.
Mais nous allons.
Chacun bâtit une vie nouvelle.
Deverrer parle de sa mère, qui sera si contente.
Brinot, qui est boucher, montrera aux Brésiliens comment on travaille à la Villette !
Venet, catholique fervent, qui n’a jamais quitté son scapulaire, qui, le matin même, est allé trouver le curé de Cayenne, pour se confesser et communier, nous met sous la protection du Bon Dieu.
Jean-Marie, qui est breton et, par conséquent, assez religieux aussi, apercevant la Croix du Sud, dit que le Ciel est pour nous. Il fera de beaux meubles pour les Brésiliens !
Menœil, avec son seul œil, n’y voit plus clair, tellement il pleure de joie :
« Ah ! Je la tiens, cette fois, la Belle ! » Il a cinquante-six ans. C’est la quatrième fois qu’il part à sa recherche. Je ne sais qui l’inspire. Mais il ne doute plus. Il chante, ce vieux forçat.
— Et vous ?
— Moi, j’étais comme les autres ; j’entrevoyais le bonheur tout en écrasant mes moustiques.
Acoupa pagayait comme un sauvage. La crique s’élargissait.
On entendait l’appel de la mer. Puis on la vit. On hissa la voile. Cris de joie : nous avions échappé aux chasseurs d’hommes.
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Le samedi 17 mars 2012, par
Modification de l'article le : 1er novembre 2012.
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