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Le jeu de l’ange

« C’est l’écriture qui appelle le sang, et non le contraire. »

De : Carlos Ruiz Zafon
Traduit par : François Maspero
Titre original : El juego del angel
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Ayant beaucoup aimé L’ombre du vent de Carlos Ruiz Zafón l’année dernière, j’ai entamé la lecture du jeu de l’ange pleine d’enthousiasme. A juste titre.

L’intrigue se déroule au début des années 20. Le jeune David, écrivain tire le diable par la queue et sa carrière végète. Pour s’en sortir, il fait des piges dans un journal, puis publie des feuilletons pour une maison d’édition vérreuse. C’est alors qu’il fait la rencontre d’un éditeur mystérieux, Andréas Corelli, qui lui promet monts et merveilles à condition que David écrive un livre de commande. Un ouvrage qui s’avèrera bien étrange...

L’ombre du vent avait ceci de singulier : la ville de Barcelone y joue un rôle central, c’est quasiment un personnage du livre. Zafón réussit à donner une atmosphère mystérieuse à une ville qui s’y prête à priori peu. Barcelone n’est pas Londres et se faire égorger dans le London Docklands un soir de fog, ça me semble raccord avec le décor. Se faire tuer près des remblas après l’heure des tapas un soir de match, on a beau dire ça le fait moins. Certaines villes sont faites pour le mystère, d’autres moins. Enfin, avec ce livre Zafón m’a prouvé que ce n’était pas si vrai que ça. L’ambiance que Zafón a crée m’a fait penser à Bram Stocker, ou au Stevenson de L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde.

Carlos Ruiz Zafón, comme dans l’ombre du vent, n’est pas avare de sa plume. Les longues descriptions et les intrigues un peu annexes restent dans ce deuxième roman et commence à trahir une mécanique bien huilée. Zafón est le genre d’auteur que je n’imagine pas sécher devant une page blanche. Ses ouvrages sont prolifiques et pourtant à aucun moment je ne me suis ennuyé. L’ombre du vent me semble un peu supérieur au « jeu de l’ange » mais rien que pour le plaisir de retrouver la librairie Sempere et fils, ainsi que le cimetière des livres oubliés, cette lecture vaut le coup.

Quelques lignes...

À l’époque, la rue Nou de la Rambla déroulait un couloir de réverbères et d’enseignes lumineuses à travers les ténèbres du quartier du Raval. Cabarets, salles de bal et lieux difficiles à classer se succédaient, au coude à coude avec des établissements spécialisés dans les maladies vénériennes, préservatifs et désinfectants, qui restaient ouverts jusqu’à l’aube, tandis que des individus d’origines diverses, allant des jeunes gens visiblement aisés aux matelots des bateaux ancrés dans le port, se mêlaient à toutes sortes de personnages extravagants qui ne vivaient que pour la nuit. Des deux côtés de la rue s’ouvraient des passages étroits qui se perdaient dans la brume et hébergeaient une ribambelle de prostituées dont les tarifs allaient en décroissant.

L’Ensueño occupait l’étage supérieur d’un immeuble ,abritant au rez-de-chaussée une salle de music-hall dont les grandes affiches annonçaient le spectacle d’une danseuse, vêtue d’une robe aussi courte que diaphane qui ne cachait rien de ses charmes, tenant dans les bras un serpent noir dont la langue bifide semblait poser un baiser sur ses lèvres.

« Eva Montenegro et le tango de la mort », proclamaient des lettres géantes. « La reine de la nuit en exclusivité pour six soirées, sans prolongations. Avec la participation, en vedette américaine, de Mesmero, qui lit dans les pensées et dévoilera vos secrets les plus intimes. »
Près de l’entrée de la salle, une porte étroite menait à un long escalier aux murs peints en rouge. J’en gravis les marches et me trouvai devant une lourde porte en chêne sculpté dont le heurtoir avait la forme d’une nymphe en bronze, le pubis chastement voilé d’une feuille de trèfle. Je frappai plusieurs coups et attendis, en évitant de contempler mon reflet dans le miroir terni qui couvrait une bonne partie du mur. J’étais déjà en train de considérer la possibilité de repartir en courant, quand la porte s’ouvrit. Une femme d’un certain âge, les cheveux entièrement blancs élégamment noués en chignon, m’adressa un charmant sourire.
- Vous devez être monsieur David Martin.
Personne, dans toute ma vie, ne m’avait appelé monsieur, et ce ton cérémonieux me surprit.
- Lui-même.
- Si vous voulez bien avoir l’amabilité d’entrer et de me suivre.
Je lui emboîtai le pas dans un bref couloir qui débouchait sur un vaste salon circulaire dont les murs étaient revêtus de velours rouge et de lumières tamisées. Le plafond formait un dôme en verre dépoli, d’où pendait un lustre en cristal sous lequel une table en acajou portait un énorme gramophone qui distillait un air d’opéra.
- Puis_ - je vous offrir à boire, cher monsieur ?
- Si vous aviez un verre d’eau, je vous en serais reconnaissant.

Le mardi 14 février 2012, par AJL
Modification de l'article le : 2 novembre 2012.

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